jeudi 24 mai 2012

Eastman massacre

Note : la Commission de concertation ayant été reportée, une nouvelle enquête publique a lieu du 26 mai au 9 juin. La nouvelle réunion de concertation aura lieu le 19 juin. Il est donc toujours possible de consulter le dossier à l'enquête à la Ville de Bruxelles (service Urbanisme) et de réagir durant la durée d'enquête ou lors de la réunion de concertation.
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L'enquête publique sur la transformation de l'ancien Institut Eastman en « Maison de l'histoire européenne » est en cours jusqu'à demain. Après l'ARAU et l'AQL, Pétitions-Patrimoine réagit à ce nouvel exemple d'inadapation d'un programme architectural démesuré à un bâtiment remarquable... ou comment bourrer deux fois trop de m2 en écrasant le patrimoine sensé l'accueillir.

L'Institut dentaire Eastman - photo © SashM

Un patrimoine unique

L’Institut Eastman est un bâtiment remarquable construit en 1934-1935 par l’architecte Michel Polak. L’architecte suisse Michel Polak (1885-1948) est aujourd’hui largement reconnu pour son œuvre architecturale exceptionnelle, particulièrement à Bruxelles durant les années 1920-1930 : Villa Empain, Résidence Palace, Hôtel Plaza, RTT (rue des Palais)… Maniant avec brio les styles de l’époque (Art Déco, Beaux-Art, modernisme classique), Michel Polak a marqué de son empreinte plusieurs immeubles aux programmes architecturaux uniques. Parmi ceux-ci, il faut noter l’Institut Dentaire George Eastman, implanté dans le Parc Léopold.

Dans un style moderniste teinté d’esprit classique, l’Institut Eastman présente, avec une sobriété d’usage des matériaux, une composition symétrique d’aspect monumentale, jouant essentiellement sur le traitement des volumes du bâtiment. On notera aussi le soin apporté aux détails des décorations et aménagements intérieurs : porte d’entrée en fer forgé, grand hall principal, salle d’attente, salle de conférence… Il n’est sans doute pas utile ici de s’étendre plus longuement sur l’intérêt et les qualités esthétiques, architecturales et historique de l’Institut Eastman car ils sont largement documentés par ailleurs. Voir notament ici et ici (avec plus de photos de détails) et des photos de son inauguration et état en 1935 ici.

Un projet inadapté


Malheureusement, le projet de « Maison de l’histoire européenne » tel que proposé est complètement inadapté au patrimoine sensé l’accueillir. Il est clair que le programme prévu est démesuré par rapport à la capacité de l’Institut Eastman à le recevoir, obligeant à une surélévation destructrice du bâtiment. Le programme d’affectation n’a manifestement pas été étudié et adapté aux possibilités et qualités du bâtiment. Dans le cadre de la réaffectation d’un patrimoine aussi remarquable, une telle démarche est à proscrire, étant l’inverse de la bonne pratique en la matière qui voudrait que l’on définisse le programme en fonction du patrimoine et non l’inverse.

Une vue du projet proposé

D’une part, la surélévation de l’Institut Eastman en détruit irrémédiablement la perception et la volumétrie, en alourdissant considérablement ses proportions et en noyant sa composition d’origine. D’autre part, certains espaces intérieurs sont sacrifiés (perte de perspectives internes notamment). Il n’est pas clair non plus si l’ensemble des éléments décoratifs d’origines encore présents sera conservé.

L'écrasement du Parc Léopold

Par ailleurs, il faut noter l’impact désastreux de la surélévation du bâtiment sur l’ensemble du parc Léopold classé. Alors que les bâtiments implantés dans le parc présentent une certaine homogénéité de gabarits, la surélévation de l’Institut Eastman créerait une rupture disharmonieuse dans cette cohérence d’échelle du bâti. Cette surélévation écrasante serait visible depuis de nombreux points de vue du parc, mettant à mal ses qualités paysagères.

Une vue du projet depuis le parc

L'écrasement du voisinage immédiat

Il faut aussi refuser la surélévation de l’Institut Eastman par rapport à ses voisins, en particulier le Lycée Jacquemain qui le jouxte. La surélévation de l’Institut Eastman aurait un impact négatif sur l’harmonie d’ensemble que forme ces deux bâtiments et aurait un effet d’écrasement sur le Lycée.

A gauche, le Lycée Jacquemain et, à droite, l'Institut Eastman

Le Lycée est un bâtiment intéressant et, aujourd’hui, les gabarits de sa façade monumentale s'accordent à ceux de l'Institut Eastman. La hauteur des corniches des deux immeubles est similaire. La composition des deux façades, malgré que l'une soit éclectique et l'autre moderniste, est empreint d'esprit classique : composition tripartite dont la partie centrale est mise en exergue par l'encadrement de deux ailes latérales. Au centre de la composition se trouve l'entrée principale. Ce dispositif, très académique, est ici joliment décliné sous deux modes : les ailes du Lycée sont plus hautes que la façade centrale, les ailes de l'Institut Eastman sont plus basses, la façade principale débordant assez subtilement par l'arrière de celles-ci.

Quel image pour l'Europe à Bruxelles ?


Enfin, d’un point de vue plus symbolique, l’implantation d’une « Maison de l’histoire européenne » par l’écrasement d’un bâtiment (et d’un site) important du patrimoine bruxellois paraît peu heureux. Au fond, ce projet ne deviendra-t-il pas, via cette manière écrasante de s’implanter sur l’Institut Eastman et dans le parc Léopold, plus emblématique de la manière brutale et urbanistiquement destructrice dont les instances européennes se sont historiquement installées dans Bruxelles ? Le demandeur et les autorités bruxelloises ont-ils vraiment envient de voir un nouveau « Berlaymonstre » ou « Caprice des Dieux » s’installer dans l’imaginaire populaire ? Si les autorités publiques européennes veulent redresser l’image négative en terme d’impact urbain qu’elles ont auprès d’une bonne partie de la population bruxelloise, une première étape serait de renoncer à ce projet si exemplaire d’une démesure écrasante pour le patrimoine et l’urbanité bruxelloise.

jeudi 17 mai 2012

A l'abandon - 02

La série « A l’abandon » a pour but de mettre en lumière certains bâtiments laissés manifestement à l’abandon depuis quelques temps. Il ne s’agit pas spécialement de bâtiments pour lesquels Pétitions-Patrimoine a entrepris une action spécifique, bien que, si c’est le cas, nous l’indiquerons. Il ne s’agit pas non plus toujours de bâtiment faisant l’objet d’une menace directe. Non, il s’agit, ici, de dresser un simple constat et de se demander pourquoi des bâtiments d’une telle qualité architecturale sont laissés anormalement vides pendant plusieurs mois ou années.

Si vous même, vous connaissez un cas d'immeuble de qualité laissé à l'abandon, n'hésitez pas à nous en faire part. Contactez-nous

Avenue Jaspar 102 et 103 à St-Gilles

Pour ce deuxième article de notre série « A l'abandon », nous nous rendrons sur la petite ceinture, juste à côté de la clinique Antoine Depage à St-Gilles. Aux 102 et 103 de l'avenue Henri Jaspar, nous trouvons deux imposantes maisons d’inspiration néo-classique inoccupées depuis quelques années. Ces deux maisons, reprises à l’inventaire du patrimoine régional, sont dues au géomètre H. Leeman et ont été construites en 1865 (n° 103) et 1869 (n° 102). Malheureusement, l’enduit de façade du n° 103 a été enlevé (dérochage), une pratique destructrice, à la mode dans les années 1970 à 1990.
A gauche (enduit blanc), le 102 et, à droite (briques mises à nu), le 103
Les maisons sont en bon état général mais vides depuis plusieurs années. Des travaux de rénovations ont été manifestement entrepris au 103 mais ils semblent aujourd’hui à l’arrêt. Des signes de manque d’entretient de la façade du 102 commence à se faire sentir (craquelures) mais ce n’est pas un phénomène récent et on peut voir ici que, en 2003, alors que la maison était toujours occupée, c’était déjà le cas. Les raisons de l’abandon de ces deux bâtiments ne nous sont pas connues. S’agit-il du même propriétaire ? D’un phénomène spéculatif ? Est-ce lié au voisinage de la clinique Antoine Depage ?

Les maisons sont en bon état même si la façade du 102 mérite un rafraichissement

L’arrière des maisons donne dans la rue Berckmans où on peut voir un arbre remarquable dans le jardin du n° 102 (qui donne au 147, rue Berckmans).

Un arbre remarquable à l'arrière du n° 102 (vue depuis la rue Berckmans)

Récemment, la porte du n° 102 a été « doublée » d’une porte d’aspect utilitaire qui en masque les magnifiques ferronneries datant probablement du début/milieu du XXe siècle. Dans l’imposte, on peut toujours y lire les initiales K et H de la société Keith & Henderson qui occupa le bâtiment.

Etat actuel de l'entrée du n° 102

Dans la même série, voir aussi :
A l'abandon - 01 (boulevard Wahis, 35)

Suspens rue Goossens

La Commission de concertation, réunie le 4 mai dernier, a reporté son avis sur la dernière demande de permis de transformation de la salle Vermeulen (rue Goossens 17-19, voir ci-dessous). L’examen de ce dossier a été reporté à une date encore indéterminée. En effet, l’instruction de la demande de permis est suspendue en raison de notre demande de classement par pétition du « petit théâtre » a été déposée au mois de février (pétition déposée par Pétitions-Patrimoine et soutenue par IEB).
L’instruction reprendra lorsque le Gouvernement notifiera sa décision, d’entamer ou non, une procédure de classement du bien. Le suspens reste entier mais, au moins, comme nous l’avions demandé à la Commission de concertation, les choses sont faites dans l’ordre. A suivre donc…

mercredi 2 mai 2012

Errare humanum est, perseverare diabolicum

Ce vendredi 4 mai 2012, se tiendra à Schaerbeek la troisième Commission de concertation consacrée au projet immobilier visant les 17-19-21 rue Goossens. Cette nouvelle demande de permis menace encore une fois de détruire les qualités patrimoniales de l’ancienne salle de spectacle en intérieur d’îlot (salle Vermeulen), en la divisant horizontalement et verticalement en logements. Pire encore que les précédentes demandes, le projet actuel vise également la démolition de l’intéressante maison à front de la rue Goossens (n° 19).

Au 19, rue Goossens, cette maison est maintenant aussi menacée de démolition

Bis repetita ou jamais deux sans trois ont envie d’écrire les associations et les riverains largement mobilisés contre le projet. Malgré deux refus, en mai et en décembre 2011, le promoteur CASCAD revient avec une demande ignorant à nouveau les qualités patrimoniales du bâti existant. Les deux refus de permis précédents furent pourtant motivés, entre autres, par l’inadéquation de l’affectation en logement de l’ancienne salle de théâtre qui est inscrite comme « équipement d'intérêt collectif » dans le Plan Régional d'Affectation du Sol (PRAS - prescriptions 8.1 et 8.2). A l’exception de la Commune de Schaerbeek, les membres de la Commission de concertation, suivant en cela l'avis de la Commission Royale des Monuments et des Sites (CRMS), demandaient aussi de prévoir une affectation qui préserve les qualités patrimoniales de cette salle de spectacle remarquable datant de 1889. Manifestement, ces demandes ne sont pas rencontrées par la nouvelle demande de permis.

Diviser la salle en plusieurs unités de logement (mal éclairés) la dénaturerait complètement.


Suite aux menaces repousées des deux premiers projets, Pétitions-Patrimoine avec l’aide des riverains et d’Inter-Environnement Bruxelles avait activé la procédure de demande de classement par pétition. Cette démarche a été couronnée par un large succès et la pétition a été déposée le 17 février 2012 par Pétitions-Patrimoine (voir notre article du 20/02/12). A ce stade, cette demande officielle de classement oblige la Région bruxelloise a prendre l'avis de la CRMS, établir un rapport et à prendre une décision sur cette demande de classement dans les trois mois de la réception officielle, ce qui n'a pas encore été fait. Nous demandons donc aux autorités de suspendre l'instruction de la nouvelle demande de permis jusqu'à cette décision régionale.

Les associations et les habitants du quartier réitèrent donc leur demande à la Région bruxelloise de classer cette salle remarquable et à la Commune de Schaerbeek d’aider à la perpétuation de cet équipement collectif au service d’un quartier qui en a bien besoin.

A l'abandon - 01

Avec cet article nous inaugurons une nouvelle rubrique de notre blog. « A l’abandon » a pour but de mettre en lumière certains bâtiments laissés manifestement à l’abandon depuis quelques temps. Il ne s’agit pas spécialement de bâtiments pour lesquels Pétitions-Patrimoine a entrepris une action spécifique, bien que, si c’est le cas, nous l’indiquerons. Il ne s’agit pas non plus toujours de bâtiment faisant l’objet d’une menace directe. Non, il s’agit, ici, de dresser un simple constat et de se demander pourquoi des bâtiments d’une telle qualité architecturale sont laissés anormalement vides pendant plusieurs mois ou années.

Si vous même, vous connaissez un cas d'immeuble de qualité laissé à l'abandon, n'hésitez pas à nous en faire part. Contactez-nous

Le 35, boulevard Wahis à Schaerbeek

Notre premier exemple est une intéressante et imposante maison à colombage mêlant le style normand et des éléments Art Déco, datant probablement des années 1920. On remarquera aussi le dessin élégant de ses châssis. Elle est située au 35, boulevard Wahis à Schaerbeek.

Une maison qui ne manque pas de charme mais vide depuis 10 ans


Plusieurs maisons et villas de ce genre sont présentes dans le quartier et en sont assez typiques. Celle-ci est inhabitée depuis environ 10 ans et on remarque (voir photos) que des travaux de toitures ont été entamés sans être achevés, laissant une rangée de tuiles manquantes le long de la corniche, de sorte que l’eau de pluie doit pénétrer régulièrement dans la maison. On peut, dès lors, craindre que celle-ci ne se détériore rapidement.

Il y a plus d’un mois, nous avons écrit à la Commune de Schaerbeek pour demander si l’abandon avait été constaté et si la taxe communale sur les immeubles à l’abandon est appliquée. Nous n’avons reçu aucune réponse à ce jour.

On remarque, le long de la corniche, une rangée de tuile manquante

Le signe d'une détérioration qui s'aggrave